Difficile d’être passé à côté
En cuisine, l’absence est désormais sanctifiée. Les mentions sans sucre raffiné, sans œufs, sans lait et surtout sans gluten en début de recettes sont censées nous exciter. Ou plutôt nous mettre en appétit car les ingrédients qui suivent sont encore moins sexy: potiron, stevia et farine de tapioca bien mixés, pour former de gros gâteaux à l’allure… mastiquée. Un truc d’initiés.
Ce degré zéro du culinaire est symptomatique d’une époque où l’abondance fait rage. La peur de la cellulite, des grosses fesses et des artères bouchées se manifeste depuis déjà plusieurs dizaines d’années par un rejet généralisé du gras au profit du maigre. Cependant, nous assistons aujourd’hui à une autre forme de phobie: le manger dans son entièreté est remis en cause, appréhendé, alors qu’il n’a jamais été aussi sécurisé, labellisé.
Les scandales alimentaires
Les scandales alimentaires comme celui de la viande de cheval ont attisé les craintes des consommateurs, déjà enclins au scepticisme. L’opacité des circuits d’approvisionnement, la pression sur les producteurs, l’utilisation abusive d’engrais chimiques aussi dangereux pour la santé que néfastes pour l’environnement nous poussent de plus en plus à nous éloigner de nos bonnes vieilles habitudes.
Seulement, en matière d’alimentation, la raison n’est pas notre seul guide; magie et superstition viennent constamment titiller notre psychisme. Au-delà des prescriptions religieuses, nos comportements alimentaires sont influencés par une pensée magique emplie de croyances plus ou moins conscientes, quelque soit notre niveau d’intelligence ou d’éducation.
Mise en situation
Au restaurant, votre assiette arrive et vous vous apercevez qu’un misérable petit poil noir (dégueulasse) se balade dans votre carbonara: “Oh drama!” Du coup – instinct de survie – vous rappelez le serveur qui, en pestant, n’aura d’autre choix que de rapporter votre plat en cuisine. Imaginez maintenant que vous revivez la même expérience, mais cette fois-ci avec un poil certifié 100% stérilisé, prouvé par A+B, promis, juré, craché! Accepteriez-vous de garder votre plat et de bequeter cette délicieuse pasta, après enlèvement du vieux poil ? … J’en doute… un poil reste un poil! stérile ou pas, propre ou sale, un poil: c’est crade !
Pourtant ce restaurant a probablement conserver ses aliments dans un bac gastronorme GN comme tous ses petits camarades !
Cette vieille idée selon laquelle “on est ce que l’on mange” est toujours bien ancrée dans nos réflexes cognitifs. Elle guide d’ailleurs les préceptes végétariens: par effet de contagion, incorporer de la viande me ferait assimiler la terreur ressentie par l’animal au moment de sa mise à mort. Dans cette logique, le cru m’assainit; le cuit me pervertit.
En promouvant un retour à la simplicité, sorte de mythe du bon sauvage, la détox ou la raw food ont remplacé la diète méditerranéenne, elle-même héritière des préceptes de la nutrition médicale de la fin du XIXe. Restriction, frugalité et maîtrise constituent les corollaires d’une norme morale idéale et surtout indétrônable. Du coup, les régimes se suivent… et se ressemblent.
La cure détox est à ce titre jubilatoire
1. Perverse :
Soi-disant réservée à la seule période printanière, on nous la ressort en fait chaque semaine: après les fêtes de fin d’année, les week-ends bien arrosés, les gavages post-ruptures, les mois de blocus. En vacances, encore pire, elle s’incruste à trois reprises dans notre planning: avant, pour se dessiner un corps de bonnasse; pendant, pour paraître plus sex on the beach qu’en mangeant un burger-frites; après, au cas où on aurait pris 500 grammes, malgré les jus de betteraves.
2. Girly :
Aucun mec n’a jamais entamé une cure détox, soyons clair.
3. Mystique :
Notre corps est intoxiqué, souillé, sali par notre mode de vie. Heureusement, les préceptes détox sont là pour nous régénérer, purifier, sanctifier de toutes ces saletés. Comme un petit air de tradition chrétienne là-dessous. On comprend mieux pourquoi la détox vise essentiellement les gonzesses.
4. Douteuse :
En ingérant un verre d’eau tiède citronnée à jeun tous les matins, vous pensez sincèrement qu’on arrivera à purifier notre corps de toutes ses sales crasses ? Difficile à croire. D’autant plus que le foie et les reins ont quand même pour taf de s’en charger. Après, je vous le concède, c’est toujours mieux que de s’affonner le reste de vodka-coca de la veille.
Ces régimes est qu’ils nous crispent
Le gros stress de tous ces régimes est qu’ils nous crispent dans notre alimentation. L’obsession de la nutrition nous fait oublier le « repas », ce moment qui rassemble. Avec aussi pour danger de tomber dans une nouvelle phobie : l’orthorexie – ou l’addiction au manger sain -, sorte d’anorexie/boulimie plus sournoise puisque socialement acceptée.
La prise de tête sur la meilleure diète à adopter est faite pour durer. La cure détox risque de nous intoxiquer autant que de nous faire culpabiliser pendant encore quelques années (perso, plus on me parle de jus de légumes/carrot cake, plus j’ai envie de me taper un apéro pinard/sauciflard).
Et pourquoi pas, à distance de tout ce blablatage, simplement (re)prendre le temps de s’organiser de petites bouffes conviviales, créant pour seul débat celui que la jolie tablée engendrera ?