Si aucune femme n’a besoin d’une journée pour crier à l’injustice, au dépassement des clichés, à la fin des inégalités, il n’en demeure pas moins que rares sont les journées dédiées à une cause qui suscitent autant de pleurnichages que celle du 8 mars. On a tous dans notre entourage un gros beauf pour sortir “et nous, hein, c’est quand notre journée?” et une nana pour rétorquer “ben toi, c’est toute l’année!” Par contre la journée mondiale de la plomberie qui se déroule trois jours plus tard ne scandalise personne. Pas plus que celle du macaron ou de la santé bucco-dentaire. Peut-être parce qu’on s’en fout. Et puis même si les macarons commencent sérieusement à nous taper sur le système, il suffit d’éviter la place du Sablon pour régler le problème. Les femmes par contre, c’est une autre affaire. Scandalisées par une publicité soi-disant sexiste, un mot doux glissé au creux de l’oreille par un pilier de comptoir pas très discret ou l’ultime commentaire du bon collègue attentionné, “repose-toi, t’as l’air un peu surmenée”, il devient difficile de ne pas les offenser.
Mais tout n’est pas perdu
Elle Belgique nous rassure. En ce jour sacro-saint, les rédactrices ont trouvé opportun de nous ressortir un de leurs vieux articles qui, déjà peu glorieux au moment de sa sortie, apparaissait hier comme carrément subversif : “comment être sexy en flemmardant chez soi”… du lourd vous disais-je. Parce qu’une femme c’est sexy ouais, même en jogging. Rien de bien surprenant dans ce choix en totale adéquation avec leur ligne éditoriale. Je n’ai qu’à lire du Causette après tout. Et ce n’est pas leur coup de gueule contre l’Apéro national du 7 mars qui y changera quoi que ce soit.
Pitch de cette initiative lancée par l’Union des brasseurs, de mèche avec quelques ministres en mal de visibilité: proposer un verre gratuit aux femmes « qui ont du goût » dans toute une série de bars belges plus ou moins branchés. Pas pour n’importe quelle femme donc, et surtout pas n’importe quelle boisson. Dans la série 100% belge, toutes les occasions sont bonnes pour faire la promotion d’un patrimoine national reconnu dans le monde entier, mais apparemment menacé. Alors une bonne pintje ? Une chope ? Une blonde ? Une 33 ? Une vieille pisse de chat? Ça sûrement pas, les hommes savent pourquoi.
Pour les gonzesses
On y va tout en finesse. Ainsi, une jolie carte avec description détaillée des goûts, des couleurs et des parfums associés leur a été tout spécialement concoctée. Ensuite, libres à elles de choisir, après examen méthodique et étude spécifique. Vous l’aurez compris, pour la grosse beuverie bien scandaleuse, on repassera. L’affiche de l’eventillustre bien le concept: une mijole avec une tête de conne, incapable de boire sa mousse sans s’en flanquer partout. Et histoire de clôturer en beauté cette soirée placée sous le signe de l’égalité, les hommes sont appelés par les institutions concernées à vêtir la robe… de Mademoiselle BOB. Beau gosse.
Tout ceci n’est-il pas le simple reflet d’une époque où les blogs culinaires sont essentiellement tenus par des femmes, où les chefs renommés sont encore et toujours des hommes ? d’une époque où les émissions de téléréalité consacrées à la cuisine nous rabâchent sans cesse que si un plat est joli, fin et délicat, c’est forcément qu’il a été créé par une femelle? Sans doute.
Top chef
La dernière saison de top chef nous offre d’ailleurs une illustration magistrale du caractère genré de l’univers alimentaire. Plus prosaïquement, elle nous montre à quel point bouffe et sexe sont indissociables.
Au début de l’aventure et sur un panel de 15 chefs en compétition, seuls trois sont des femmes. Dès la première émission, deux d’entre elles se font virer. La troisième continue tant bien que mal sa lutte acharnée, héroïque, qui relève presque d’une gageure et cela non pas parce que son niveau est foncièrement médiocre. Non. Plutôt parce qu’en plus de devoir prouver ses qualités de chefs, cette jeune femme doit prouver ses qualités… de femme. Surtout que la pauvre fille a aussi le malheur d’être mère. La totale. Désormais, la voilà constamment associées à ces trois seuls vocables: sensible, délicate et maternelle. Un demi-siècle après la libération féminine, dans les cuisines, le discours stagne.
Une épreuve qui doit plaire aux enfants ? La femme se doit d’arriver première. Bah oui, elle qui a un marmot vous comprenez. Au passage, signalons qu’on ne nous dit pas si les hommes de la compétition ont des gamins. Ce sont seulement des « battants », des mecs qui cherchent à prouver qu’ils sont les meilleurs, le tout enveloppé dans une odeur de revanche sociale totalement assumée.
Comme quoi, tu peux être mauvais en math et réussir ta vie. Enfin, si tu n’es pas une fille.